
La nuit des béguines d’Aline Kiner
On avait parlé de La nuit des béguines lors de la première séance de notre bookclub féministe et le Père Noël a eu la bonne idée de me l’offrir… Excellent timing puisque, pour le mois de mars, le thème que nous avions pioché était « Religion ».
Résumé
Paris, 1310. Ysabel est l’herboriste et l’intendante du dispensaire du béguinage royal. Un matin, elle trouve une jeune enfant aux vêtements déchirés devant sa porte et l’autorise à entrer. Elle découvre rapidement que la jeune fille fiévreuse, mutique et transie de froid cache une flamboyante chevelure rousse, ce qui est considéré comme un signe du diable à l’époque. Ysabel la recueille et tente de lui trouver une place au sein de la communauté. Néanmoins, ici comme ailleurs, les superstitions prennent le pas sur l’empathie et il faut trouver un autre refuge pour Maheut.
Ce que j’en ai pensé ?!
Ce roman mêle fiction et réalité historique. L’histoire individuelle des béguines se déroule à un moment charnière pour leur ordre. En effet, quelques semaines après l’arrivée de Maheut, elles assistent à la mise à mort de la première femme brulée vive pour raisons religieuses. Il s’agit de Marguerite Porete, béguine de la région de Valenciennes ayant écrit « Le miroir des simples âmes« , un ouvrage très érudit traitant de la relation entre Dieu et l’Amour. Ce livre a été jugé comme hérétique et son autrice, refusant de revenir sur ses propos, fut condamnée au bûcher. Cette condamnation n’est que le premier acte d’une longue séries d’attaques contre le statut des béguines menant, à terme, à leur dissolution. Vous pensez bien, des femmes qui sont libres de vivre en dehors de la tutelle d’un mari, sans être cloitrées dans un couvent et disposant de leurs propres revenus, ça ne plaisait pas aux autorités catholiques ! Et si en plus, elles se targuaient d’être érudites et/ou de bien faire fonctionner leur commerce, alors là, rien n’allait plus !
Dans La nuit des béguines, on suit l’existence relativement tranquille d’Ysabel, jusqu’à l’arrivée de Maheut. La vieille dame prend soin de ses sœurs grâce aux plantes de son jardin, dont elle aime s’occuper, celui-ci lui rappelant sa Bourgogne natale. De nature conciliante, elle bénéficie du respect de l’ensemble de sa communauté.
Maheut est une jeune fille rebelle, très spontanée, issue de la petite noblesse de la région de Valenciennes. Elle s’est échappée d’un mariage forcé avec l’un des ennemis de sa famille, auquel son frère l’a donnée au décès de leur père. Son mari en a immédiatement profité pour abuser d’elle alors qu’elle était à peine sortie de l’enfance. Elle supporte difficilement l’enfermement imposé par Ysabel pour sa protection mais elle n’a personne d’autre sur qui se reposer et a confiance en la vieille béguine. Lorsqu’une solution est trouvée pour qu’elle puisse rejoindre Dame Du Faut, une amie d’Ysabel, béguine également, qui tient une boutique de soie en dehors du béguinage, elle a l’impression de revivre. Mais son tempérament sauvage ne tarde pas à refaire irruption. [Oui, résumé comme ça, je conviens que le personnage a l’air assez caricatural – on dirait la Rebelle de Disney]
Dans ce roman, l’autrice dénonce la situation de la plupart des femmes du MA, surtout, celles appartenant à la noblesse ou à la bourgeoisie naissante. Mineures, elles appartiennent à leur père qui peut choisir de les faire entrer au couvent ou de les marier, souvent pour consolider le pouvoir familial ou sa fortune. Elles deviennent alors l’objet sexuel et la machine à enfanter de leur époux. Soit, elles sont chanceuses comme l’ont été Ysabel et Ade qui ont pu aimer leur mari, soit, comme Maheut, elles tombent sur un rustre qui abuse d’elles. Celles qui ont la chance d’être veuves peuvent choisir de devenir béguines : elles peuvent alors rester maîtresses de leurs biens personnels et doivent vivre dans la foi chrétienne, de manière sobre et discrète. Cela laisse peu de choix pour trouver un certain épanouissement !
Dans ce roman, il est aussi question du statut de mère : certaines ont vu leurs envies de materner être contrariées, d’autres se voient imposer l’arrivée d’un enfant dont elles ne veulent pas. Mais chacune peut compter sur la solidarité de ses sœurs qui, malgré quelques instants de jalousie, trouvent les ressources pour s’entraider.
On y voit aussi l’impact des guerres sur le quotidien de la population ainsi que celui des guerres de pouvoir entre le roi et les autorités religieuses. J’ai parfois été perdue par ces considérations, n’étant pas très au fait des différences entre les Ordres religieux (Templiers, franciscains, dominicains) et leurs accointances avec les pouvoirs en place. Je pense que certains aspects auraient pu être passés sous silence sans que cela nuise à la compréhension du récit. Cependant, je comprends pourquoi l’autrice les y a glissés : cela permet de voir comment les lois changent en fonction de la rigueur religieuse du souverain en place, de ses relations avec le pouvoir pontifical ou encore de l’état de ses caisses.
J’ai aimé l’ambiance qui se dégageait du roman qui nous plonge dans le Paris médiéval avec son manque de confort, sa crasse et sa dangerosité. Il témoigne des difficultés d’être une femme à l’époque et des risques encourus dès qu’elles sortaient dans l’espace public. L’écriture est fluide, avec ce qu’il faut de suspens pour nous inciter à continuer le chapitre suivant.
Le roman démontre également à quel point les croyances et superstitions de l’époque pouvaient mener à l’exclusion de certaines catégories de personnes, uniquement sur base de leur apparence physique. Cela fait écho avec de nombreuses problématiques actuelles qui, je l’espère, nous sembleront tout aussi ridicules dans quelques années que ne l’est, aujourd’hui, la peur des roux et rousses. Cela illustre également à quel point le pouvoir de quelques-uns peut avoir de graves conséquences sur la vie de toute une population [de là à faire le parallèle avec les USA qui retomberaient au MA, c’est un pas que je ne suis pas loin de franchir…].
Infos pratiques
- Titre : La nuit des béguines
- Autrice : Aline Kiner
- Édition : Liana Levi, piccolo, 2018
- Nombre de pages : 350 pages
- Genre : roman historique
- Challenge : en sortir 25 en 2025

