Couverture de La chair est triste hélas
Humeurs,  Lecture

Réflexions autour de La chair est triste hélas d’Ovidie

A peine prêté par Fanny, aussitôt dévoré : La chair est triste hélas d’Ovidie me faisait de l’œil depuis sa sortie mais j’avais très peur de ce que j’allais y lire. Non pas que je craignais la qualité des réflexions, j’aime beaucoup ce que fait Ovidie en tant que documentariste. Mais comme Jeanne Balibar, j’avais peur de découvrir que j’étais d’accord avec elle…

Alors dans cet article, on va un peu changer de format. Je ne vais pas chroniquer cet ouvrage [je ne sais pas trop comment le qualifier] comme je peux le faire d’habitude [mais si vous voulez un avis express : j’ai beaucoup aimé, c’est à lire, vous y trouverez toutes et tous des réflexions qui pourront vous interpeller – allez lire l’avis de Fanny]. Ici, j’ai plutôt envie de réfléchir sur certains sujets qu’elle aborde dans son livre et sur la manière dont je les appréhende personnellement [oui, cet article risque de remplacer un RDV chez la psy, n’hésitez pas à passer votre chemin si ça vous ennuie]. Le livre est bien plus riche et moins superficiel que les sujets que je vais épingler [sur les violences sexuelles ou le travail du sexe, notamment].

Tout d’abord, l’un des points qui m’a particulièrement interpellée, c’est lorsqu’elle dit avoir perdu beaucoup de temps [et d’argent], au cours des 20 dernières, pour être et rester désirable aux yeux des mecs. Et ce temps, elle ne le rattrapera pas… Or, aujourd’hui, elle se rend compte que le jeu n’en valait clairement pas la chandelle.

Je me suis remémoré tous ces sacrifices pour rester cotée à l’argus sur le grand marché de la baisabilité, toutes ces années de restrictions alimentaires, ces milliers d’heures de cardio à jeun jusqu’à l’évanouissement. […]

Ovidie

Alors je me suis vue, pas plus tard que la semaine dernière, à m’épuiser sous le cagnard pour éliminer le trop plein de calories ingérées la veille ou encore postée devant le miroir, à insulter ce corps pas assez ferme, qui refuse de se modeler comme je le voudrais… Mais le modeler pour quoi ? Pour plaire à qui ? Des mecs qui les trois-quart du temps, font à peine l’effort de prendre une douche quand ils veulent plaire ? J’en suis donc encore là ? Pourquoi je n’arrive pas à ME plaire ? Ce corps, il me porte pour mes longues promenades, il me permet de courir 20 km dans des temps plus qu’acceptables, de danser avec mes amies, de porter des charges relativement lourdes quand j’en ai besoin, … Bref, il me permet de vivre tout à fait normalement [je ne dirai pas sans trop de douleurs car en ce moment, il me fait payer mes mauvais traitements] ce qui est son rôle premier. Alors pourquoi je l’insulte ? Parce qu’il ne ressemble pas aux photos des magazines ? Je le sais que c’est retouché. Pourquoi je n’arrive pas à l’aimer tel qu’il est ? Pourquoi ai-je besoin de constater qu’il plait à d’autres pour lui donner un minimum de crédit ? Toute féministe que je suis, quand il s’agit de mon corps, je ne parviens pas à sortir des carcans de la grossophobie et des injonctions diverses que je combats. Et ça m’énerve au plus au point. Ya donc encore du taf de côté-là.

L’autre réflexion qui m’a pas mal secouée, c’est quand Ovidie affirme qu’elle n’a jamais été aussi productive intellectuellement et professionnellement parlant que depuis qu’elle ne relationne plus avec des hommes. Là encore, mon ventre et ma gorge se sont serrés. Car là aussi, je la rejoins. Après LA rupture, il m’a fallu un certain temps pour retomber sur mes pieds [et c’est pas encore gagné, cette histoire]. Puis je suis passée par une looooongue période où, ayant perdu toute envie de relationner, j’ai placé une grande partie de mon énergie dans la création : j’étais davantage active par ici, j’écrivais pour moi, je lisais beaucoup, j’avais développé tout un projet de podcast [et même écrit les premiers épisodes mais on reviendra sur le syndrome de l’impostrice une autre fois], je proposais de nouveaux projets au boulot, … Vous avez compris, le bail, je crois. Et puis, il y a un an environ, l’envie de relationner est revenue [et là, c’est le drame !]. Depuis, force est de constater que ma productivité est redescendue en flèche ! Je peine à trouver le temps de lire, j’ai l’impression que mon cerveau s’enraye chaque fois que j’essaie de pondre deux lignes, je traine la patte pour aller travailler. Surtout ces dernières semaines, l’écart entre ces deux périodes est flagrant. Attention, je ne suis pas en train de rejeter la faute sur les mecs que j’ai pu fréquenter ! Seulement, en lisant Ovidie j’ai pris conscience que je tenais sans doute une partie de l’explication de cette perte de créativité que j’avais remarquée depuis quelques semaines [voire mois]. Car, en bonne introvertie que je suis, les relations sociales, ça m’épuise plus que ça ne me ressource. Or, enchainer les RDV avec des inconnus, devoir soutenir des conversations pendant plusieurs heures, plusieurs fois par semaine, commencer des relations [avec un succès plus que mitigé pour l’instant, j’en conviens] et donc m’impliquer, sortir de ma zone de confort, accepter de faire une place à l’autre dans mon quotidien, … Tout ça, me vide littéralement de mon énergie. Je ne compte plus les fois où j’ai dû décliner une invitation ou raccourcir un RDV parce que ma jauge sociale était au plus bas. Je me suis alors demandé pourquoi je m’infligeais ça ? Car contrairement à beaucoup de femmes de mon âge, aucune horloge biologique ne me presse de trouver le père des mes enfants, je n’en veux pas… Et pour ce qui est du sexe pur et dur, je prends tout autant de plaisir avec Coco donc pas d’urgence de ce côté-là non plus.

C’est un besoin, d’être touché, un besoin vital. J’ai vu des femmes s’écrouler, après un massage. […] Des femmes absolument inconsolables, dont j’avais senti qu’elles n’avaient plus été touchées depuis des années, comme si mes mains avaient fait remonter dans leur mémoire le souvenir qu’elles possédaient un corps, et que sentir son corps est essentiel, que c’est dans le fond la plus belle chose qui soit.

Eric Reinhardt, L’amour et les forêts

Non, le besoin criant qui s’est fait sentir à un moment donné, c’est celui de la tendresse [oui, ça fait cucul dit comme ça] : partager des moments de pur intérêt pour une autre personne, être touchée avec douceur, pouvoir se poser contre un autre être humain et simplement jouir de sa présence. Sans arrière-pensée, juste se donner de l’amour. C’est ça qui me manquait [et me manque toujours d’ailleurs mais soit, là n’est pas la question]. J’avais déjà été secouée pour cette raison en lisant Vieille fille de Marie Kock [elle comprend vite mais il faut lui expliquer longtemps…]. Alors les plus cyniques d’entre vous me diront de prendre un chat, mais disons que pour l’intensité des conversations, c’est pas l’idéal… Et c’est aussi vers cette conclusion que se dirigent les réflexions d’Ovidie [sauf qu’elle l’exprime bien mieux que moi et qu’elle propose aussi de se tourner vers les relations queer].

[…] ce que je voudrais, c’est un couple exclusif où chacun trouverait suffisamment de sources d’accomplissement dans sa vie personnelle pour ne pas avoir besoin de se disperser dans de basses relations adultérines ou des romances à la petite semaine.

Ovidie

Alors ce livre, même s’il m’a fait à nouveau remettre complètement en question ma vie actuelle, il m’a apporté beaucoup de réconfort. Celui de lire que je suis loin d’être la seule à me débattre avec mes contradictions et à rêver d’une autre manière de relationner. Tout n’est peut-être pas perdu mais il est peut-être temps que je change un peu les règles du jeu. Ou peut-être qu’une vraie et belle relation, ça n’arrive qu’une fois dans une vie et que mon tour est passé. Et c’est pas grave [après tout, c’est bien les chats, non ?].

Infos pratiques

  • Titre : La chair est triste hélas
  • Autrice : Ovidie
  • Édition : Julliard, 2023, collection Fauteuse de trouble
  • Nombre de pages : 152 pages
  • Genre : non fiction

 

6 commentaires

Si vous souhaitez me laisser un petit mot...