L'Hiver des hommes
Lecture

L’Hiver des Hommes de Lionel Duroy

L’Hiver des hommes est un roman que j’avais gagné en 2012 grâce à VendrediLecture. Depuis, il prenait la poussière dans mes étagères car le sujet ne m’intéressait pas plus que cela… Mais j’avais décidé que 2022 était l’année de sa dernière chance et c’est l’actualité qui enfin donné envie de m’y pencher.

Rien ne peut changer ce qui s’est passé. On ne peut que mentir pour s’en remettre.

Résumé

Marc est un écrivain français dont le couple et la famille a volé en éclats quelques mois plus tôt. Pour se changer les idées, il souhaite commencer un nouveau livre. Passionné par le destin des enfants de criminels de guerre, il décide d’écrire sur Ana Mladić, la fille du général serbe Ratko Mladić : celle-ci s’est suicidée à 23 ans, en 1994, alors que les crimes de guerre de son père commençaient à être dénoncés dans les médias “de l’Ouest”.

Pour son enquête, Marc s’embarque alors pour Belgrade et part à la rencontre de ces Serbes pour qui le général Mladić est victime plus que bourreau. C’est une région qu’il connaît déjà puisqu’il y était déjà allé en 1993-1994.

Ce que j’en ai pensé ?!

Contre toute attente, j’ai beaucoup aimé ce roman qui a obtenu le prix Renaudot des lycéens en 2012. J’y ai découvert Marc, l’alter-égo de Lionel Duroy, qui apparaît dans la plupart de ses romans autobiographiques. Il est ici accompagné de Boris, un jeune serbe francophile de Belgrade qui lui sert d’interprète durant toute son enquête. Personnage non dénoté d’humour qui ajoute parfois de la légèreté dans le récit.

Les questions sont toujours si petites, si déplacées, au regard de ce que nous sommes. “J’aimerais être chez les gens comme invisible, ai-je dit un jour à Curtis, et parvenir à entendre la petite musique qui les occupe. Nous avons tous en nous une petite musique qui nous occupe, n’est-ce pas Curtis, et seule cette musique-là rend compte de ce que nous sommes, de la vérité que nous portons”.

Nous suivons les deux hommes à travers leur périple jusqu’à la région de Sarajevo et de la République serbe de Bosnie où sont encore présents, à l’époque, de nombreux soutiens de Mladić. A travers ces rencontres, nous apprenons comment vivent désormais les Serbes de cette région, leur vision des exactions qui ont été commises durant la guerre et nous nous forgeons un portait du général Mladić, alors en cavale pour échapper au tribunal de La Haye.

Marc et Boris évoluent en terrain hostile mais parviennent à faire parler ces hommes qui n’ont pourtant que peu de considération pour les Français “qui ont tourné le dos au peuple serbe”. Durant ces entretiens, on perçoit la haine qui semble encore exister entre les différents peuples qui formaient l’ex-Yougoslavie : la rapidité avec laquelle des populations qui vivaient en relative harmonie les unes avec les autres sont venues à se haïr au point de tenter de s’éradiquer mutuellement… Cela fait froid dans le dos.

Je ne connaissais pas l’histoire de cette région et j’ai été frappée par ce que j’ai pu lire dans ce roman qui s’appuie sur de nombreux faits réels : le massacre de Srebrenica [que je connaissais de nom] ou celui du marché de Markale pour n’en citer que deux. C’est assez terrifiant : l’auteur nous montre comment certaines personnes vivent dans une sorte de réalité alternative où toutes les preuves de ces exactions ne sont que complots et propagande du clan adverse. Cela permet d’imaginer ce qui se joue aujourd’hui entre la Russie et l’Ukraine.

Ce que met surtout en exergue L’Hiver des hommes, c’est l’absurdité de cette guerre qui n’aura servi qu’à séparer des populations qui, autrefois, vivaient les unes avec les autres. Chacune se retrouve aujourd’hui retranchée derrière de nouvelles frontières mais celles-ci ne leur garantissent ni la paix, ni l’absence de peur. La haine de l’autre est toujours bien présente et semble même s’accentuer, puisque les populations ne vivent plus ensemble et ne se connaissent plus. Les rumeurs sur ce qui se passent de l’autre côté de la frontière ne font qu’attiser la peur.

Tandis qu’il gagnait sur tous les fronts, qu’il se couvrait de gloire aux yeux des Serbes, Ana avait été la première à lui signifier sa défaite, à la lui annoncer en se tirant une balle dans la tête.

Le suicide d’Ana n’est ici qu’un prétexte pour raconter la guerre et ses participants et prend assez peu de place dans le récit. Néanmoins, l’auteur nous offre son explication du geste de la jeune fille [pour lequel elle n’a laissé aucune explication].

Ponctuellement, Marc s’arrête aussi sur le délitement de son propre couple. Même si c’est la raison qui l’a poussé à partir mener cette enquête, j’ai trouvé que ces passages tombaient chaque fois comme un cheveu dans la soupe et n’avaient pas grand intérêt. Je suis pourtant curieuse de lire d’autres romans de Lionel Duroy et pense les aborder dans l’ordre chronologique de publication afin de mieux comprendre le développement des parties autobiographiques.

Il se tait. Et brusquement : – Connaissez-vous cette phrase d’Ivo Andrić : “Quand vient le temps de la guerre, les gens intelligents se taisent, les fous monopolisent la parole et les canailles s’enrichissent.” ?

L’Hiver des hommes m’a également donné envie d’en apprendre davantage sur l’Histoire de cette région et de me pencher sur sa littérature [même si ma seule expérience en la matière a été plutôt traumatisante…]. D’ailleurs, l’auteur insère plusieurs extraits d’œuvres d’Ivo Andrić qui ont attisé ma curiosité même si je ne pousserai pas le vice jusqu’à relire Le Pont sur la Drina [pas folle, la guêpe !].

Donc, si vous avez des conseils de lecture d’autrices et d’auteurs venant d’ex-Yougoslavie, n’hésitez pas à m’en faire part !

Infos pratiques

  • Titre : L’Hiver des hommes
  • Auteur : Lionel Duroy
  • Édition : Julliard, 2012
  • Nombre de pages : 358 pages
  • Genre : récit autobiographique
  • Challenge : en sortir 22 en 2022

 

 

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