Rien ne t’appartient de Natacha Appanah
Avant Rien ne t’appartient, je n’avais encore rien lu de Natacha Appanah [c’est pourtant son dixième roman] mais comme l’autrice sera présente à la Nuit des écrivains, le 10 novembre, je me suis dit qu’il était temps de jeter un œil sur son œuvre. Son dernier roman était en tête de rayon à la bibliothèque, le choix ne fut pas difficile ! 😉
Résumé
Tara a perdu son mari, il y a 4 mois. Depuis lors, elle perd pieds tout doucement : elle néglige l’entretien de leur appartement, elle se nourrit à peine, oublie d’aller travailler, … Des figures issues d’une ancienne vie, où son nom n’était pas Tara, semblent venir la hanter de plus en plus souvent. Qui sont-elles ? Elles ne l’effraient pas, en tous cas.
Ce que j’en ai pensé ?!
Ils disent que je suis une fille gâchée, je ne sais pas ce que c’est.
Rien ne t’appartient se divise en deux grandes parties, chacune écrite à la première personne du singulier. Dans la première, intitulée Tara, nous suivons la jeune femme lors d’une soirée et une nuit dans son appartement, 4 mois après la mort de son mari, Emmanuel. Elle tente de s’extraire de l’état de transe dans lequel elle se trouve car elle sait qu’elle va bientôt recevoir de la visite. Elle prend conscience de l’image qu’elle renvoie : sale, à moitié nue, l’appartement sans dessus-dessous mais ne parvient pas à se secouer pour tout remettre en état. L’autrice nous décrit une femme sans âge qui semble avoir totalement perdu l’esprit. Elle lutte véritablement contre elle-même pour reprendre le contrôle sur son corps. Lorsque son beau-fils la rejoint, une certaine gêne emplit l’espace : Tara et Eli étaient tous deux liés grâce à Emmanuel mais ils n’ont pas encore construit une nouvelle relation, qui soit détachée de cette présence.
C’est moi qui l’ai trouvé sur ce canapé. […] Ce matin-là, j’ai fait du café, j’ai grillé du pain, j’ai vidé le lave-vaisselle, il était déjà 11 heures et je me disais qu’il allait se réveiller avec l’odeur du café et des toasts, le bruit des couverts qu’on pose sur la table. Il n’avait pas bougé et je me suis approchée de lui. Je voudrais me concentrer sur cette minute où je le regarde dormir, oui je suis persuadée qu’il dort, je dis son nom doucement, je pose ma main sur sa hanche, puis je la fais remonter jusqu’aux épaules et jusque dans ses cheveux que je caresse, c’est un duvet si doux, et je me souviens encore de cette sensation sous mes doigts, mon esprit qui est alerte et tendu me le rappelle, me le fait sentir à nouveau.
Dans la seconde partie, nous découvrons une petite fille du nom de Vijaya. Elle grandit dans une famille aimante, auprès d’un père leader politique et d’une mère qu’on dit un peu sorcière. Elle suit l’école à domicile, car son père estime que l’enseignement officiel n’est pas au niveau, et est passionnée par la danse…. Jusqu’au jour où sa vie bascule. Cette seconde partie raconte le voyage initiatique qui mènera Vijaya à Tara. D’un petit village du Sri Lanka à ce qui semble être une petite ville en Occident [en France, sans doute]. Le pays d’origine de Vijaya n’est jamais cité dans le roman : c’est l’autrice elle-même qui en a parlé dans une interview. D’après elle, le pays est assez vite reconnaissable pour qui connaît un peu la région [ce qui n’est pas mon cas].
Ce roman m’a littéralement broyé le cœur ! Pourtant, je n’avais que peu accroché à la première partie : j’éprouve toujours quelques difficultés à ressentir de l’empathie pour les personnes qui souffrent psychiquement, dans les romans. Souvent, la lecture me met un peu mal à l’aise d’autant plus ici où le premier chapitre prend la forme d’un long flux de pensées d’une femme qui perd la tête. Mais l’histoire de Vijaya ne peut laisser indifférent·e. Avec elle, on découvre certaines traditions de la région, notamment autour de la danse et on entraperçoit les troubles politiques qu’a connu le pays.
Dans Rien ne t’appartient, il est énormément question d’amour, sous toutes ses formes : celui d’un parent pour son enfant, celui qu’on peut prodiguer à un·e étrangèr·e en difficulté, celui qui coïncide avec l’apprentissage de la sexualité, celui qui se forme entre “sœurs” qui vivent une même situation, etc. On comprend que cet amour est souvent source de sacrifices et qu’il peut être douloureux mais aussi l’origine des plus beaux moments de bonheur.
En, vérité, plus rien ne m’appartient, ni ici, ni ailleurs, ni jamais. Mon nom, mon histoire, ma mémoire s’effacent. Je m’endors comme on tombe dans un puits noir. Au fond de ce puits, il y a des cheveux qui forment un épais tapis dans lequel je me fonds.
C’est également un roman qui parle des traumatismes divers que l’on peut subir dans une vie et des différents mécanismes que le corps et l’esprit mettent en place pour parvenir à les surmonter.
J’ai beaucoup aimé la plume de l’autrice qui use parfois de magnifiques images. Il se dégage une certaine musicalité, une certaine poésie de ce roman.
La nature y est également très présente dans ce qu’elle peut avoir de plus beau mais aussi de plus dévastateur. L’eau, l’humidité sont très souvent convoquées par le biais de sons, de sensations ou d’odeurs qui nous immergent dans le récit.
Une très belle lecture donc, qui m’encourage à continuer mon exploration de la bibliographie de Natacha Appanah. J’ai hâte d’entendre l’autrice nous parler de littérature le 10 novembre !
Infos pratiques
- Autrice : Natacha Appanah
- Titre : Rien ne t’appartient
- Édition : Gallimard, collection Blanche, 2021
- Nombre de pages : 159 pages
- Genre : contemporain
4 commentaires
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Mumu dans le bocage
Tout ces romans sont splendides par l’écriture mais également par la construction et les thèmes abordés. J’aime beaucoup cette autrice 🙂
Maghily
Tu m’encourages d’autant plus à découvrir le reste de son œuvre. 🙂