Saga – Les Enfants de Longbridge de Jonathan Coe
Lors de la rentrée littéraire de septembre, Gallimard a publié Le Cœur de l’Angleterre de Jonathan Coe, troisième volet de la saga Les Enfants de Longbridge qui avait initialement été prévue en 2 tomes, tous deux écrits il y a une quinzaine d’années : Bienvenue au Club et Le Cercle fermé.
Le point commun de ces trois romans, outre le fait qu’ils mettent en scène les mêmes personnages, est de faire le portrait politique et social de l’Angleterre. L’auteur a expliqué dans ses remerciements qu’initialement, il souhaitait simplement écrire un roman qui mettait en scène le Brexit et que c’est au cours de discussions avec des lecteurs attachés aux personnages de sa duologie qu’il a eu l’idée de reprendre ces derniers pour raconter Le Cœur de l’Angleterre. Il est possible de lire uniquement ce dernier tome, sans avoir lu les deux premiers mais je trouve que l’on prend nettement moins conscience de l’évolution de la société anglaise et des personnages.
De quoi ça parle ?!
Dans Bienvenue au club, nous faisons la connaissance de Benjamin Trotter alors qu’il mène une adolescence relativement tranquille dans un collège privé de Birmingham, au milieu des années 70. C’est l’occasion de (re)découvrir l’Angleterre de cette époque, en butte avec les nombreuses grèves qui touchaient le pays et l’augmentation des tensions avec les Irlandais.
Dans Le Cercle fermé, nous retrouvons Benjamin et ses amis 20 ans plus tard alors qu’ils ont quelque peu déchanté face aux idéaux de leur jeunesse. C’est la période du règne de Thatcher et de la montée en puissance du néo-libéralisme.
Enfin, Le Coeur de l’Angleterre nous mène aux portes du Brexit alors que la colère ne cesse de grimper dans ces contrées profondes où les habitants se sentent délaissés face aux minorités à qui ils imputent leurs difficultés économiques.
Ce que j’en ai pensé ?!
La grande force de Jonathan Coe est de nous proposer une magnifique palette de personnages, justement nuancés et dont les caractères sont très bien décrits. Je pense que chacun⋅e d’entre nous peut se reconnaître dans l’un d’eux. Benjamin, le personnage central de cette trilogie, est un doux rêveur, toujours perdu dans son monde et qui semble assez peu atteint par les problèmes de la société qui l’entoure. C’est un intellectuel, extrêmement timide, qui va s’enfermer des années durant dans une histoire d’amour impossible, qui est aussi sa source d’inspiration pour créer.
Parmi ses amis et sa famille, nous découvrons un large panel de profils allant du politicien néo-libéral à la femme de ménage originaire des pays de l’Est en passant par l’adolescente militante de gauche ou le quarantenaire de classe moyenne qui peine à joindre les deux bouts. Chacun⋅e a un rôle à jouer dans cette immense fresque qui témoigne de l’évolution de la société anglaise des années 70 à aujourd’hui.
J’ai trouvé cette lecture très instructive car elle m’a permis de mieux appréhender l’histoire contemporaine de ce pays qui nous semble pourtant si familier. Jonathan Coe aborde les grandes questions politiques qui ont secoué son pays depuis quatre décennies telles que la privatisation des services publics, la montée du racisme ou le référendum du Brexit.
Du point de vue de la forme, l’auteur jongle entre un récit principal raconté par le biais d’un narrateur omniscient et différentes formes de discours direct [pensées, lettres, courriels] ou d’inserts tels que des coupures de journaux qui auraient été rédigés par les différents protagonistes. Cela lui permet de jouer sur le rythme mais aussi sur les niveaux de style.
L’auteur fait preuve de beaucoup d’humour et d’ironie dans son roman. Cela lui permet d’aborder certaines scènes de manière originale [je n’aurais jamais cru rire autant en lisant une scène de sexe, par exemple].
J’ai trouvé que le thème du racisme était très présent tout au long de la série [et pas uniquement dans le dernier tome] : l’auteur démontre ainsi clairement que la haine de l’Autre grandit systématiquement en cas de crise économique et que cet Autre est variable, en fonction des époques [les Irlandais, les noirs, les musulmans, etc.].
Birmingham, soutenait Doug, avait produit en quelques décennies deux théoriciens racistes de taille : Enoch Powell et J. R. R. Tolkien. Philippe était outragé par une telle affirmation. Tolkien était sans l’ombre d’un doute son auteur favori, et il était curieux de savoir en quoi c’était un écrivain raciste. Doug lui suggéra de relire le Seigneur des Anneaux. Philippe rétorqua qu’il le relisait tous les six mois. Dans ce cas, rétorqua Doug , il avait dû remarquer que chez Tolkien les méchants, les Orques, avaient une apparence manifestement négroïde. Et ça ne l’avait pas frappé que les renforts qui venaient appuyer Sauron, le Seigneur Ténébreux, avaient eux-mêmes la peau sombre, étaient vaguement originaires de régions tropicales du sud, et chevauchaient souvent des éléphants ?
J’ai également été étonnée de trouver des réflexions très féministes, déjà, dans Bienvenue au club et dans Le Cercle fermé ; réflexions émanant aussi bien de personnages féminins que masculins.
De manière générale, je trouve qu’il y a une grande diversité dans les personnages qu’ils nous propose, d’autant plus dans le Coeur de l’Angleterre, sans que cela n’ait l’air artificiel. Ils sont simplement le reflet de la population anglaise de leur époque.
Le seul bémol qui est venu ternir ma lecture provient de la traduction du dernier volet. En effet, la traductrice est différente des deux précédents tomes et a choisi de changer les noms ou surnoms de certains personnages. Personnellement, ayant relu les tomes à la suite, cela m’a dérangée. D’autant que je ne comprends pas l’intérêt de franciser les prénoms de certains personnages. Je suis également un peu triste de n’avoir pu suivre davantage deux personnages très présents dans la première duologie et quasi disparus du dernier tome.
Néanmoins, ce fut une excellente (re)lecture qui m’a fait reprendre conscience de la raison pour laquelle Jonathan Coe figure parmi mes auteurs préférés ! Sur le blog, j’avais déjà chroniqué La Vie très privée de Mr Sim mais ça faisait longtemps que je n’avais plus rien lu de lui.
Infos pratiques
- Auteur : Jonathan Coe
- Traducteur et traductrices : Jamila et Serge Chauvin (Tomes 1 et 2), Josée Kamoun (tome 3)
- Titres : Bienvenue au club, Le Cercle fermé, Le Cœur de l’Angleterre (Saga de Longbridge)
- Éditions : Folio 2008 et 2007 ; Gallimard 2019
- Nombres de pages : 541, 550 et 549
- Genre : contemporain, saga familiale
- Challenges : 3 pavés pour le mois de décembre ! 😉
Qu’avez-vous déjà lu de Jonathan Coe ?!
3 commentaires
mespagesversicolores
J’ai mis en évidence Bienvenue au club pour le lire bientôt… j’ai dû chercher longtemps avant de le retrouver!
Maghily
Hahaha, il était bien planqué ! 😉
J’espère qu’il te plaira.
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