Lira bien qui lira le dernier d’Hubert Nyssen
Aujourd’hui, je vais non pas vous parler d’un roman mais bien d’un essai, intitulé Lira bien qui lira le dernier.
Hubert Nyssen, auteur et éditeur belge qui a créé Actes Sud en 1978 signe ici une lettre ouverte à Mademoiselle Esperluette, lectrice tout droit sortie de son imagination, afin de lui faire part de son avis sur l’avenir du livre et de la lecture.
Dans cette lettre, Hubert Nyssen nous démontre que, bien qu’ils soient étroitement liés, le livre et la lecture ne sont pas indissociables et que la lecture a existé bien avant l’apparition du livre et qu’elle lui survivra sans doute. Toujours est-il que, comme beaucoup d’auteurs et d’éditeurs, il s’interroge sur ce qu’il adviendra de cet objet, support de notre culture littéraire actuelle. Cependant, il est loin d’être négatif quant à ce que nous réserve cette évolution. Pour expliquer son point de vue, il prend l’exemple du DVD, nouveau support des films d’aujourd’hui (oui, je sais, depuis il y a eu le Blue-Ray) et qui, loin d’avoir éloigné le public des salles de cinéma, lui permet de découvrir de nouvelles informations sur le film visionné qu’il ne pouvait pas se procurer (ou très difficilement) auparavant : la possibilité de voir le film en plusieurs langues avec différents sous-titres, les bonus, les versions longues, etc. Pour lui, les e-books devraient nous permettre de connaître les mêmes bénéfices (NDLR : ce livre a été écrit en 2004, à ce moment-là, ce n’était pas aussi courant qu’aujourd’hui).
Non, ce qui inquiète réellement Hubert Nyssen, c’est l’avenir de la lecture et de l’édition en tant que telle. Pourquoi ? Tout simplement parce que le monde éditorial sombre peu à peu dans cette quête insatiable du profit à tout prix. Qu’un livre ne vaut plus par sa qualité littéraire mais par le nombre de ventes qu’il pourrait rapporter aux nouveaux actionnaires qui, peu à peu, s’accaparent des parts dans toutes les grandes maisons d’édition. Suivant cette logique, combien de petits écrivains talentueux vont-il passer à la trappe parce qu’ils ne sont pas suffisamment connus du grand public ou parce qu’ils ne passent pas suffisamment bien à la télévision ? Voilà ce qui tourmente Hubert Nyssen.
D’autant plus que, si l’on suit cette logique où ce qui compte dans le livre, c’est la propension de son auteur à se vendre, que va-t-il advenir de la qualité de ces ouvrages ? Quand les Twilight, les Fifty Shades of Grey (là, ce sont des exemples personnels) vont tellement phagocyter le marché qu’il n’y aura plus de place dans les rayonnages des librairies pour la vraie littérature. Quand le lecteur s’habituera à une si piètre qualité qu’il deviendra trop fainéant pour rechercher mieux. Il perdra alors l’habitude de lire vraiment, d’apprendre par les livres. Alors, à ce moment-là, la lecture telle que nous la connaissons aujourd’hui pourrait périr.
Heureusement, cet ouvrage est loin d’être pessimiste et Hubert Nyssen a foi en ses lecteurs et surtout, en ses lectrices. C’est ce qu’il tente de démontrer à Mademoiselle Esperluette. Il souhaite la convaincre du pouvoir qu’ont encore les lecteurs d’aujourd’hui et du rôle qu’ils ont à jouer dans la préservation de la littérature.
Alors, cette crise du livre en est-elle réellement une ? Ou est-ce seulement un nouveau tournant que prend le monde de l’édition aujourd’hui comme il en a déjà tellement pris lors des siècles précédents ?
Ce livre d’Hubert Nyssen est un véritable bijou, un hommage au lecteur qui mérite largement d’être lu ! Il est empli d’anecdotes datant de l’époque où il était éditeur mais aussi de références à des auteurs ou des historiens de la lecture qu’il me tarde de lire ! De plus, n’oublions pas qu’Hubert Nyssen n’est pas qu’un éditeur ou un lecteur, c’est également un auteur talentueux dont la plume érudite n’a rien à envier aux auteurs dont il fait l’apologie !
Si je ne vous ai pas encore convaincu, sachez qu’avec cette lettre ouverte, vous améliorerez également votre vocabulaire ! Savez-vous ce qu’est un ratiocineur ou un prolégomènes ? Non ? Alors, courez le lire !
Ma note :
Un extrait (p. 47, édition Labor, 2004):
“Mais si l’on espère encore voir apparaître de ces auteurs qui, entrés par la petite porte, ont fini par occuper une place dans notre panthéon littéraire – comme Gadenne ou Gaddis, pour n’en citer que deux […] -, nous devons savoir que le risque de les attendre en vain, désormais, trouve origine dans l’ogritude économique d’un monde dont les états d’âme sont plus sensibles aux cotes boursières qu’aux éblouissements littéraires.”